Liban : Faillite d’un Etat ou naufrage d’une nation ?


Par Raymond Nammour
Lundi 24 Août 2015

La République libanaise est en panne. Le régime politique issu de la Constitution de Taëf ne fonctionne plus. Tout est mis sur le dos de la classe dirigeante et/ou des pouvoirs «spoliés» du président de la République.
En accusant la classe dirigeante multiconfessionnelle, les Libanais brisent, subrepticement, les chaînes du confessionnalisme. Alors qu'en stigmatisant les pouvoirs présidentiels, ils se dépêchent de remettre leurs chaînes !
Il est indéniable que notre classe dirigeante est loin d'être une référence de probité ! Mais en quoi diffère-t-elle de celle des années 50, ou 70, ou 90 ? Mis à part les rares exceptions de véritables serviteurs de la chose publique, la classe politique est restée figée, au sens propre comme au figuré, se nourrissant des mêmes « mamelles » depuis au moins les années 50, le népotisme et la corruption. Et elle poursuivra sur la même voie tant qu'on ne vient pas lui demander des comptes.
Quant aux pouvoirs du président, ils ne peuvent non plus expliquer la faillite de l'Etat. Sous la IIème République (1943-1989), le régime politique quasi présidentiel n'a pas empêché le pays de vivre au rythme des crises et des conflits culminant avec plus de 15 ans de guerre destructrice. Le problème est donc ailleurs.
La République est en panne parce qu'un Etat ne se décrète pas ; ça se veut d'abord, et ça se construit au quotidien après.
Avons-nous réellement voulu notre Etat et avons-nous œuvré, quotidiennement, à sa construction ?
Pour «vouloir» un Etat, la volonté doit être, avant tout, générale.
C'est la volonté générale, expression des désirs profonds d'un peuple qui se transcende en nation, socle de tout Etat.
Avons-nous jamais été une nation ?
Pour beaucoup, la réponse est tributaire des périodes et des difficultés de fonctionnement de notre pluralisme. C'est justement ce conditionnement de la nation qui est à l'origine de tous nos malheurs. C'est ce doute sur la réalité de la nation libanaise qui a mis le pays à la merci de la moindre secousse.
N'est-il pas temps de trancher définitivement cette question et mettre un terme au doute qui nous ronge depuis des générations ?
La nation libanaise est-elle une réalité ou n'est-elle qu'une vue de l'esprit ?
Objectivement, c'est la réalité qui prédomine. Quand le dénominateur commun regroupe la langue, la terre, la culture et l'histoire, la nation est bel et bien une réalité. Et le fait que nous prions le même Dieu de 18 façons différentes ne devrait en aucun cas remettre en cause l'appartenance nationale.
Subjectivement, la réalité prédomine également. La volonté de vivre ensemble a été «testée» à de nombreuses occasions. Elle s'en est toujours sortie plus forte que jamais. Et le fait d'avoir 18 «styles» de vie différents, tout en s'inclinant tous devant le même cèdre, ne devrait pas atténuer l'attachement à la vie en commun.
Et pour finir de convaincre les sceptiques et leur faire toucher du doigt la réalité nationale, il suffit d'observer la passion, voire la dévotion que porte la majorité du pays à l'armée libanaise.
Ce lien affectif entre le peuple et son armée n'est que la traduction de l'attachement collectif à une nation fière, et à un Etat fort et juste.
Pourquoi alors avons-nous échoué à traduire la nation en Etat stable ? Les raisons sont hélas nombreuses.
Parce que l'Etat est un processus cumulatif et une construction de tous les jours et non un décret à appliquer.
Parce que le temps, principale condition pour bâtir des institutions, est une notion marginale pour nous enterrer sous les «boukra», les «machy el-hal» et les nuages des narguilés.
Parce que l'abnégation, sans laquelle rien n'est possible, est étrangère à notre mode de vie.
Parce que nous nous sommes laissé aveugler par les paillettes et les bling-bling au détriment des vraies valeurs de travail, de solidarité, d’honnêteté et d’alternance.
Parce qu'on a oublié que le vrai pouvoir émane du peuple et que nul n'est au-dessus de la nation.
Parce qu'on a laissé la drogue confessionnelle anéantir notre faculté de discernement.
Pour toutes ces raisons, nous sommes incapables aujourd'hui de ramasser nos ordures.
Comme toujours, nous allons quand même trouver des palliatifs. Jusqu'à la prochaine crise qui peut-être sera celle des hôpitaux, ou des écoles, ou de l'eau...
Le redressement nécessite avant tout autre chose une réelle prise de conscience ; ce qui est loin d'être acquis en dépit des voix «orphelines» qui s'élèvent dans le pays.
Quand une nation est en train de sombrer dans ses ordures, c'est un véritable état d'urgence moral qu'il faut instaurer. Même si le pays continue à fonctionner grâce au secteur privé, ce fonctionnement est fragile et à la merci de la moindre étincelle. Le «privé» est indispensable à la croissance économique ; mais il ne peut, en aucune manière, remplacer le «public», seul ciment de la nation.
Commençons par arrêter de gaspiller la denrée rare qu'est le temps dans des futilités du genre mécanismes de fonctionnement du gouvernement ! Qu'il fonctionne comme il veut, pourvu qu'il fonctionne !
L'Etat a failli parce que la nation a sombré.
Retrouvons la faculté de discernement pour sauver la nation du naufrage. Et c'est seulement après que nous pouvons espérer un Etat.

 


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